Ce document est disponible en version PDF : cliquez-ici
Il existe trois raisons d'absorber des substances : manger, guérir et jouir. Ces substances sont alors appelées respectivement des aliments, des médicaments et des stimulants. Tant dans les médicaments que dans les stimulants, une distinction peut être opérée entre l'effet principal et l'effet secondaire des substances absorbées. Cette distinction se retrouve déjà dans le terme 'pharmacologie', dérivé du mot grec 'pharmacon', qui signifie tant médicament que poison. Cela implique directement que les substances que nous administrons ne se caractérisent pas seulement par leur effet principal,, qui légitime leur qualité de médicament, mais également par leurs effets secondaires, qui expliquent leur caractère toxique.
Nous entendons donc par 'effet principal' l'effet désiré, l'effet visé. Par 'effet secondaire', nous entendons les effets - qui ne sont pas visés mais qui apparaissent néanmoins. Chaque médicament, chaque stimulant a des effets secondaires. La relativité de cette distinction est par exemple illustrée par la substance 'prométhazine', mieux connue sous le nom de marque Phenergan. Ce médicament est administré pour réduire des symptômes d'allergies, comme le rhume des foins, mais rend aussi somnolent. Si le médecin prescrit ce médicament contre un rhume des foins, l'effet de somnolence est considéré comme secondaire. Par contre, si Phenergan est prescrit en sa qualité de calmant, c'est l'effet antiallergique qui est considéré comme secondaire.
A chaque utilisation d'un médicament, la question de savoir si l'effet principal est suffisamment effectif pour que l'on puisse légitimer les effets secondaires - ou même le risque de ces effets, qui sont loin de toujours apparaître - mérite d'être posée. L'effet principal de l'aspirine - l'effet analgésique -est-il ainsi suffisamment puissant pour accepter le risque d'une gastrorragie chez un patient sur mille?
La dose d'une substance peut être si minime qu'elle n'a plus aucun effet. Si la substance est administrée en quantités plus importantes, les effets visés prédomineront. Par contre, si les quantités sont encore plus élevées, ce sont les effets toxiques qui prédomineront. La différence entre la dose minimale active et la dose maximale sans apparition de phénomènes toxiques est appelée la sphère thérapeutique.
Enfin, l'administration d'une substance peut s'accompagner d'une série d'effets qui n'ont rien à voir avec les propriétés pharmacologiques de la substance en question. Il s'agit alors d'effets placebo.
La dénomination des produits pharmaceutiques
Les substances ont tout d'abord un nom chimique qui représente leur composition. Ces dénominations sont souvent très longues et compliquées et reçoivent pour cette raison un nom plus court et international, ce que l'on appelle les 'noms génériques'. Enfin, les fabricants donnent également un nom de marque à leurs produits. Il se peut donc qu'une substance soit connue sous toute une série de noms de marque. Les noms de marque sont toujours suivis par le signe R entouré d'un cercle.
Voici quelques exemples:
nom chimique : alpha-méthyl-phényléthylamine
nom générique : amphétamine
nom de marque : Dexedrine
nom chimique : 3, 4, 5-triméthoxy-benzoyl-méthyl-reserpat nom générique : réserpine
nom de marque : Serpasil, Banasil, Alserin, Raupoid, etc.
Pharmacocinétique
La pharmacocinétique est la discipline qui étudie comment un produit pharmaceutique agit lorsqu'il se trouve dans le corps. Ceci dépend en premier lieu du mode d'administration. On distingue les modes suivants:
- entéral = par le tube digestif
oral, per os : par la bouche, par l'action d'avaler
sublingual : sous la langue, par suçage
rectal : par l'anus (suppositoire)
- parentéral : par injection à travers la peau
intracutané : dans la peau
sous-cutané : sous la peau
intramusculaire : dans les muscles
intraveineux : dans une veine
intrapéritonéal : dans la cavité abdominale
intracardiaque : directement dans le coeur
- par inhalation (inhaler, fumer)
- transcutané : absorption (sparadrap)
L'aspect le plus important de l'administration per os est que la substance en question passe par le tube digestif, est absorbée par le sang et est ensuite dirigée vers le foie. L'une des principales fonctions du foie est de décomposer les substances étrangères et/ou de les transformer chimiquement de manière à ce qu'elles puissent être sécrétées par les reins. C'est ce que l'on appelle la biotransformation. Cela signifie que l'effet de nombreuses substances est moins puissant lorsqu'elles sont administrées per os. En cas d'inhalation et d'injection, il n'y a pas de biotransformation; les substances administrées de cette manière ont donc davantage d'effet. Une autre manière d'éviter la biotransformation dans le foie est d'opter pour l'administration rectale ou sublinguale (le nitrobate en cas d'angine de poitrine) parce que les vaisseaux sanguins de la bouche et du rectum ne conduisent pas d'abord au foie.
Un autre facteur qui a une influence sur la force de l'effet est que ce n'est pas spécifiquement la quantité de la substance présente dans le sang (le taux sanguin) qui détermine l'intensité de l'effet, mais plutôt la vitesse à laquelle le taux sanguin augmente. Le taux sanguin augmente lentement lorsque le sang absorbe une substance administrée per os. En cas d'injection ou d'inhalation, le taux sanguin augmente rapidement à très rapidement, ce qui provoque un effet beaucoup plus prononcé.
Les substances administrées atteignent l'endroit où elles doivent agir par le sang. Il est important de savoir dans ce cadre si les substances en question se dissolvent mieux dans de l'eau ou dans de la graisse. Lorsqu'une substance se dissout bien dans de l'eau, elle est facilement absorbée par le sang: Si une-- - substance se dissout bien dans de la graisse, l'absorption dans le sang est plus problématique, mais, par contre, la substance est facilement stockée dans le tissu adipeux, La substance ressort alors lentement du tissu adipeux.
Les substances sont également décomposées. Le foie joue un rôle particulier dans ce cadre, mais la dégradation est également assurée dans le reste du corps par des enzymes. Une enzyme est une substance qui provoque une réaction chimique sans subir de changement. On parle dans les milieux non médicaux d'une catalyse. Une substance qui revêt cette fonction est appelée un catalyseur. Il est important de savoir sur ce plan que certaines substances (également des médicaments) peuvent accélérer ou ralentir le processus de dégradation. Dans le cas d'une utilisation combinée, cela peut se traduire par un effet diminué ou accru. En voici quelques exemples:
- la rifampicine (un antibiotique utilisé entre autres contre la tuberculose), qui accélère la dégradation de la méthadone et qui en ralentit donc l'effet;
- la méthaqualone (un somnifère), qui ralentit la dégradation de nombreuses substances (également les opiacés) et qui en accélère donc l'effet.
Une notion importante dans ce contexte est la période de demi-valeur. Il s'agit du temps dont le corps a besoin pour éliminer la moitié de la substance présente, mesurée sur la base de sa concentration dans le sang.
Enfin, les substances, éventuellement biotransformées, sont sécrétées, généralement par l'urine. Certaines substances peuvent également être sécrétées par les fèces, la transpiration, la salive, les larmes et le lait maternel. Si les substances sont gazeuses, elles peuvent également être expirées par les poumons.
Agoniste-antagoniste
Les produits pharmaceutiques sont administrés parce qu'ils ont un effet bien particulier. Cet effet est le résultat de leur réaction avec des molécules spéciales, appelées les 'récepteurs'. Le produit pharmaceutique est alors considéré comme l'agoniste d'un récepteur particulier. D'autres substances peuvent avoir un effet contraire sur le même récepteur; elles sont alors appelées des 'antagonistes'. Un exemple est l'agoniste 'morphine', dont la nalorphine est l'antagoniste et entrave l'effet de la morphine. Les antagonistes et les agonistes se livrent parfois une lutte entre eux pour avoir un effet sur le récepteur. Il s'agit alors d'antagonistes compétitifs. La situation contraire se présente lorsque l'antagoniste bloque le récepteur; il s'agit alors d'une inhibition non compétitive. Dans le premier cas, le blocage du récepteur peut être éliminé par une augméhtâtion de - la dose de l'agoniste; cela n'est pas possible dans le deuxième cas.
LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME NERVEUX
Pour bien comprendre l'effet des psychotropes - les produit pharmaceutiques qui agissent sur le cerveau et qui influent sur notre esprit - il est indispensable d'avoir une compréhension générale de la structure du cerveau. Voici un bref exposé sur le cerveau.
On compare souvent le cerveau à l'ordinateur. Le point commun de ces deux systèmes de traitement d'informations est que l'information est véhiculée par l'électricité. Une des différences est que les éléments constituant un ordinateur sont reliés les uns aux autres : l'ordinateur est un système continu. Notre cerveau, par contre, se compose de cellules nerveuses -appelées neurones - qui ne sont pas attachées les unes aux autres : notre cerveau est donc un système discontinu. Notre cerveau contient environ 10 000 000 000 neurones, auxquels s'ajoute une masse encore beaucoup plus importante de cellules de soutien, appelées cellules gliales. Chaque cellule nerveuse est reliée à 10 000 autres. Ensemble, elles forment un réseau par rapport auquel le superordinateur le plus sophistiqué n'est qu'un instrument rudimentaire.
Les neurones se composent d'un corps cellulaire et d'un prolongement, appelé 'axone', qui est en contact avec les dendrites des autres neurones. Voir fig. 1.
La particularité du neurone est le fait qu'il existe une différence de potentiel entre l'intérieur et l'extérieur de la - cellule due à des différences de concentration d'ions de sodium et de potassium. Les ions Na se trouvent surtout à l'extérieur de la cellule, les ions K surtout à l'intérieur. La perturbation de ce rapport se traduit par un changement de la différence de potentiel. Cette perturbation peut se propager sur la surface de la cellule nerveuse par une sorte de mouvement ondulatoire. Cette perturbation est appelée le potentiel d'action. Ces perturbations se poursuivent le long des prolongements des cellules nerveuses -
les axones - et transmettent ainsi des messages. Aucune étincelle ne jaillit cependant vers la dendrite lorsqu'un potentiel d'action arrive à l'extrémité de l'axone. En fait, une substance particulière est sécrétée et stockée dans de petites vésicules qui se trouvent à l'extrémité de l'axone. Cette substance, appelée neurotransmetteur, passe par la membrane présynaptique, avance par la scissure étroite entre l'axone et la dendrite du neurone suivant, la synapse, et réagit avec des molécules spéciales de la paroi cellulaire du neurone suivant. Ces molécules sont appelées des récepteurs et se trouvent dans la membrane postsynaptique. Voir les figures 2, 3 et 4.
Fig. 2 Photo au microscope électronique d'une synapse
a. neurone présynaptique avec vésicules
b. scissure synaptique
c. membrane postsynaptique
Sur chaque cellule nerveuse se trouvent environ dix mille synapses dont une partie est toujours active. Cette activité provoque donc constamment des perturbations sur le plan de la différence de tension.
A chaque fois que la résultante de toutes ces perturbations dépasse une certaine valeur limite, la cellule nerveuse génère un nouveau potentiel d'action qui est transmis vers les synapses suivantes le long de la terminaison de cette cellule.
Lorsque la clé (le neurotransmetteur) a ouvert la serrure de la porte, le neurotransmetteur est rejeté hors du récepteur et soit dégradé, soit repris et réutilisé dans le prolongement de l'axone. Ce processus est appelé la 'réabsorption'.
Des substances qui bloquent la réabsorption intensifient l'effet du neurotransmetteur parce que celui-ci reste dans la scissure synaptique et peut ainsi continuer à stimuler les récepteurs.
Figure 3: La cheminement du neurotransmitter dans la synapse
Fig 4. Photo au microscope electronique d'une synapse
Les fleches indiquent les vesicules qui versent leur contenu - des molecules de neurotransmitteur - dans la scissure synaptique
La cellule nerveuse est donc une sorte de petite calculatrice qui ne peut qu'additionner (lorsque les perturbations se renforcent mutuellement) ou soustraire (lorsque les perturbations agissent les unes contre les autres). Elle peut être comparée au transistor d'un ordinateur.
Prenons un exemple pour bien illustrer ce phénomène. Tout le monde connaît le réflexe péronéo-fémoral, où une petite tape sur le tendon du genou suffit pour faire tendre la jambe fléchie. Le mécanisme sous-jacent est que l'impact du petit marteau sur le tendon du genou stimule un sens qui se trouve dans le tendon. Ce sens transmet alors un signal - un ou une série de potentiel(s) d'action - le long de la cellule nerveuse vers une synapse de la moelle épinière. Le neurotransmetteur qui est ainsi libéré dans la moelle épinière stimule une cellule nerveuse suivante, dont le prolongement transmet les potentiels d'action vers les muscles de la cuisse. Ces muscles se contractent et font tendre la jambe. Le médecin n'a aucune difficulté à provoquer ce réflexe chez un patient, mais il est très difficile-de-générer_ soi-même le réflexe péronéo-fémoral. La raison est que la concentration de l'individu qui tente l'expérience correspond à une série de potentiels d'action 'à effet contraire' qui sont transmis de l'encéphale vers la moelle épinière, où ils entravent l'effet des potentiels d'action originaires du tendon du genou. Peu ou pas de potentiels d'action ne sont transmis vers les muscles de la cuisse et la jambe reste fléchie.
Fig. 5. Schéma du réflexe péronéo-fémoral
La possibilité que la communication entre les cellules nerveuses soit assurée par la libération de substances chimiques a été envisagée pour la première fois par le physiologiste britannique Thomas Elliot en 1905. Les premiers indices concrets ont été découverts en 1921 par Otto Loewi. Ayant placé dans une solution saline le coeur d'une grenouille, qui continuait ainsi à battre, il fit couler le même liquide par un autre coeur de grenouille. Puis, il stimula le nerf vague du premier coeur (le nerf vague fait ralentir le rythme cardiaque). Le premier coeur se mit effectivement à battre plus lentement - comme prévu - mais au grand étonnement du chercheur, le deuxième coeur se mit également à battre plus lentement, alors que le nerf vague de celui-ci n'avait pas été stimulé. Cela signifiait donc qu'une substance chimique était libérée par le nerf vague du premier coeur et que cette substance avait un effet sur le deuxième coeur par l'intermédiaire du liquide de perfusion. Cette substance a été identifiée plus tard par Sir Henry Dale comme étant de l'acétylcholine. -
Fig 6. L'expérience de Loewi
T = échelle du temps
S = stimulus
D = contractions coeur D
R = contractions coeur R
Comme nous l'avons déjà dit, la réaction entre le neurotransmetteur et le récepteur est une réaction très spécifique. Autrefois, on pensait qu'il n'y avait que quelques neurotransmetteurs : l'acétylcholine, dont nous avons déjà parlé, et une série de combinaisons ammoniacales organiques, les 'amines biogènes' : l'adrénaline, la noradrénaline, la sérotonine, la dopamine et l'histamine. Plus tard, il est apparu que certains acides aminés (les fondements des protéines) avaient une fonction de neurotransmetteurs, l'acide gamma-amino-butyrique (GABA) et la glycine étant les plus importants. Dans les années soixante-dix enfin, on a découvert que certains peptides (chaînes d'acides aminés) remplissent également cette fonction. Jusqu'à présent, on a identifié une trentaine de neurotransmetteurs, mais la liste est évidemment loin d'être complète. Il existe également des substances qui ne sont pas de vrais neurotransmetteurs, mais qui ont un effet sur, par exemple, le métabolisme des neurotransmetteurs, ce que l'on appelle les 'neuromodulateurs'. Enfin, les nerfs peuvent sécréter des substances qui-nlarrivent pas dans la scissure synaptique mais qui vont directement dans le sang ou dans l'espace libre extra-cellulaire et qui fonctionnent alors comme des hormones.
Tous les psychotropes ont un effet spécifique parce qu'ils agissent sur la transmission neuronale au niveau de la synapse. Les modes d'action peuvent être différents. Tout d'abord, la production - la synthèse - du neurotransmetteur peut être intensifiée par l'administration des composants de ce même neurotransmetteur. Ensuite,le neurotransmetteur est stocké dans des vésicules (l'entreposage). Les stupéfiants peuvent avoir un effet au niveau de l'entreposage, par exemple en cassant les vésicules qui protègent les neurotransmetteurs contre les enzymes dégradantes, permettant à ces enzymes de détruire le neurotransmetteur et d'en réduire ainsi l'effet. La troisième phase est la libération dans la scissure synaptique : la libération. Certains stupéfiants favorisent la phase de la libération, dáutres la freinent, avec comme conséquence une
intensification ou une diminution de l'effet. La quatrième phase est la stimulation du récepteur: nombre de psychotropes imitent les neurotransmetteurs en se chargeant eux-mêmes de stimuler les récepteurs.
Une fois le récepteur stimulé, le neurotransmetteur revient dans la scissure synaptique, où deux cas de figure peuvent se présenter : le neurotransmetteur subit une dégradation enzymatique lorsque celui-ci est relâché par le récepteur ou les molécules du neurotransmetteur sont reprises (réabsorption) par le neurone présynaptique afin d'être réutilisées. Les stupéfiants peuvent renforcer la dégradation ou la freiner, et bloquer la réabsorption ou justement la favoriser.
Enfin, certains stupéfiants agissent sur des mécanismes qui interviennent après que la cellule ait été stimulée par un neurotransmetteur et en renforcent ou ralentissent ainsi l'effet. Ces stupéfiants agissent sur ce que l'on appelle les mécanismes post-récepteurs