Albert Hofmann a fêté ses 90 ans en janvier 1996. Le chimiste suisse, trois ans plus tôt,célébrait les 50 ans de son enfant terrible, le Lysersaure diethylamid -- l'acide lysergique diéthylamide. A l'époque, les journalistes n'arrêtaient pas de lui téléphoner dans sa villa suisse. Il en avait un peu marre. Il n'aura le temps de nous dire:
" J'espère seulement que le LSD, inventé comme médicament, sera un jour vraiment utilisé comme médicament. "
Ancêtre du Lysergsaure diethylamid : l'ergot de seigne (Claviceps purpurea), un parasite de couleur mauve, utilisé comme médicalement depuis plus de quatre cent ans. Petite Retro. Du moyen age aux expériences de Timothy Leary.
Jusqu'au XVII ème, nombreuses crises délirantes provoquées par l'absorption de l'ergot contenu dans le pain de seigle. A l'époque, Saint Antoine est le saint Patron des "ergotiques".
1582 : première exploitation médicale de l'ergot de seigle, mentionnée par le Dr Adam Lonitzer de Francfort. Utilisée comme antalgique par les sages femmes.
Début XIX ème: premiers travaux pour isoler les alcaloïdes, les principes actifs de l'ergot.
1907 : isolation de l'ergotoxine, une des alcaloïdes du parasite, par les anglais Barger et Carr. Découverte de son effet inhibiteur sur l'adrénaline.
1908 : l'ergot reconnu par la médecine traditionnelle pour une utilisation post-natale.
1917-18 : premières recherches chez Sandoz par le Pr Arthur Stoll, futur patron d'Hofmann. Isolation de l'ergotamine: première molécule pure extraite de l'ergot. Recommandée contre les migraines, sous le nom de Gynergen.
1920 : Naissance, dans une famile américano - irlandaise catho, de Timothy Leary, à Spingfield, Massachussets. Père dentiste, ancien militaire, et mère instituteur.
1930 : Recherches poussées en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Jacobs et Craig, du Rockfeller Institut de New-York, isolent la famille chimique commune aux alcaloïdes de l'ergot: l'acide lysergique.
1935 : Hofmann, chez Sandoz depuis cinq ans, reprend les travaux de Stoll sur les dérivés de l'ergot.
1938 : naissance du LSD-25, 25ème substance issue de l'acide lysergique, en le couplant avec du diéthylamide. Premiers tests sur les animaux. Pas d'intérêt médical, estiment les chefs de Sandoz. Hofmann suspend ses recherches sur le LSD-25.
1943 : retour de Hofmann sur le LSD, persuadé qu'il n'en a pas tiré tous les effets. Le 16 avril, nouvelle purification de l'acide. Premiers vertiges. Le lundi 19, il décide de s'administrer une dose de 0,25 mg dans 10 cc d'eau. Premier trip sous LSD, à vélo durant 4 miles. D'où le fameux Bicycle Ride.
La même année, Leary obtient un diplome de psychologie à l'université d'Alabama, après avoir étéviré de l'académie West Point pour des problèmes d'alcoolisme. Il part ensuite faire la guerre.
1947 : débuts des expériences psychiatriques sur l'homme à Zurich, par Werner et Stoll Jr. Sandoz sort son Delysid R, ampoules de LSD vendues en pharmacie. Tests sur les sujets sains et schizophrènes. Doses: de 0,02 à 0,13 mg. Effet caractérisé comme un "phantasticum".
1949 : arrivée du Delysid aux USA. Premières psychothérapies sous LSD: psychédélique aux USA (hautes doses, 0,3 - 0,6 mg), psycholytique en Europe (moyenne dose). Utilisé comme moyen d'expression (névroses) ou comme antalgique sur des cancereux en phase terminale.
1957 : Leary, après des recherches en Californie, se fera remarquer à Harvard par un de ses premiers écrits sur le "diagnostic interpersonnel" de la personnalité.
1960 : Leary se paye un voyage au Mexique et goûte aux délices des psilocybe, les magic mushrooms qui lui feront découvrir ce qu'il appèlera le "Niagara sensoriel".
1961-63 : Leary est en poste à Harvard depuis 1959. Sous son impulsion, le LSD devient, avec la mescaline (décrite par Huxley dans Doors of Perceptions) et diverses plantes psychés, le centre des psychothérapie interpersonnelles, ou le patient et le malade trouve une "osmose hallucinatoire et rédemptrice" (je cite de mémoire les héritiers du mouvement d'aujourd'hui). Il est viré de la fac en 1963.
1965 : devant la vague "LSD = débauche = drogue", après les remous de Harvard, Sandoz stoppe la production du Delysid. Hoffman en veut encore à Leary d'avoir un peu "dépassé les bornes." La même année, l'ancien gourou de Harvard se fait arrêter en possession de marijuana.
1969 : l'ONU interdit l'usage du LSD dans sa Convention sur les psychotropes.
1970 : Leary doit fuir les USA (Alger, Afghanistan) après avoir épuisé tous ses appels en justice. Il se fera coincer par la DEA en Afghanistan en 73.
1973-76 : Leary passe 3 ans dans la prison de Folsom, une des plus dures de Californie. Il vivra ensuite à Los Angeles, puis à Beverly Hills, d'où il nous a écrit une lettre charmante en février 1994. Il terminera d'ailleurs sa vie là-bas, imprégnié ses dernières années par la cyberculture, dans laquelle il voyait un autre refuge ultime pour l'accomplissement du "moi" sans contrôle extérieur.
1985 : la Suisse autorise six psychiatres à relancer la thérapie psycholytique. Organisations de trips officiels pour soigner l'anorexie et l'état dépressif.
1991 : aux States, retour psychédélique. La FDA accepte un protocole d'essais cliniques déposé par le Dr Albert Kurland de Baltimore. Pour traiter le comportement addictif.
1993 : en Suisse, ils ne sont plus que trois à pouvoir prescrire le LSD. L'autorisation fédérale a expireé en octobre. L'équipe de Baltimore devait débuter ses tests sur 60 personnes : 0,1 à 0,4 mg, 20 heures de préparation, cinq sessions. Mais les autorités locales (Maryland) ont refusé de poursuivre les recherches.
1994 : Parait Chaos and Cyberculure, dernier ouvrage de Leary (édité en France par les éditions du Lézard).
1996 : Leary meurt le 31 mai. Albert Hofmann a maintenant une fondation, dans laquelle se regroupe la fine fleur des psychiatres et des cliniciens qui se battent pour redonner aux études psychédéliques sur l'homme une nouvelle jeunesse : MDMA (ecstasy) comme anti-douleur et anti-stress pour les cancers en phase terminale, la marijuana comme anti-nausées et pour vaincre le waisting syndrom des malades du sida, le LSD pour réduire la dépendance narcotique, mais aussi la kétamine, la psilocybine, le DMT, l'ibogaine, etc...